mardi 3 février 2015

Conte marseillais: histoire de la marchande de poisson qui voulait être antiquaire (de haut vol)

Marseille est connue de par le monde pour ses personnages truculents, hauts en verbe, quand ils ne le sont pas en couleurs. Des "figures" comme on dit ici, qui ont fait le succès de Mr Pagnol. Je vais vous conter l'histoire de la marchande de poisson qui voulait être antiquaire de haut vol. Sachant que le haut vol se pratique essentiellement par les gabians, oiseaux de mauvaise réputation et peu appréciés de par chez nous. Le ton de ce conte vous est donné. Un conte narratif, transcription fidèle d'une anecdote réelle, vécue cette après-midi.
Une anecdote frisant la mésaventure, tant la marchande de l'histoire se montra déplaisante à l'égard de la va-nu-pieds sans cervelle et totalement inculte qui vous écrit ici.

Partie sur les hauteurs de Vauban à la recherche d'un courrier perdu (envoyé mais jamais arrivé), mon trajet me fait passer devant une boutique d'objets de décoration et mobiliers "vintage".
Où se mêlent quelques toiles d'époques bien antérieures aux années 50 / 70 dans laquelle le local, qui se veut magasin d'Antiquaire malgré son allure de dépôt-vente, semble vouloir se "spécialiser", vu de la rue.
Tordant... déjà!

Cherchant depuis quelques temps quelque accessoire bien précis, me vient l'idée - bien malheureuse - de penser que l'antre pourrait bien receler un exemplaire dans l'un de ses recoins sombres. Et poussiéreux.

Car la boutique de l'-A-ntiquaire * ne se distingue de l'esprit de l'Emmaüs du quartier de la Bourse que par 3 choses:
- une sonnette pour qu'on daigne vous autoriser de franchir la porte, que l'Emmaüs n'a pas (signe de transactions supposant du liquide passant sous le niveau de radar de Mon Ami le Percepteur?)
- un visage et un sourire aimable que la tenancière -A-ntiquaire n'a pas
- de la poussière et de la crasse sur les objets et mobiliers, que n'ont pas ceux vendus par l'Emmaüs, tenu par de "pauvres hères" dont la dignité n'a d'égal que leur respect du client qui se présente, et qui semblent aussi manquer à l'-A-ntiquaire (ça fait 4 points au final).

* avec un grand A - j'insiste - ceci expliquant sans doute que je me sois faite fustigée ainsi qu'il vous est conté plus loin.

Je sonne.... J'attends...

Du fin fond de la caverne sombre, se lève une petite silhouette, toute aussi sombre et difficile à distinguer, hormis le regard si pointu et aiguisé qu'il semble déjà vouloir me transpercer, moi, vulgaire "peut-être cliente", mais "sûrement ignare et certainement sans le sou" que je suis...
Ceci bien que je ne parvienne pas à voir le blanc de l’œil, repère de la distance raisonnable communément admise pour ouvrir le feu...

La silhouette se rapproche....

Non sans me rappeler le déplacement de ces vilains gabians tournoyant et zigzagant entre les poubelles, à la recherche d'un  pigeon à dépecer vif, ou d'un vilain coup de bec à vous donner. Avec cet œil fixe, immobile et glacial, où le noir de la pupille se fait lumière, tant la mauvaise intention se fait intense.

La dame -A-ntiquaire avance, histoire de jauger le rat qui prétend se frayer un chemin au milieu de ses "trésors" sans prix. Et surtout sans entretien.
Au travers de la vitre, la posture et l'expression de la "qu-A-lifiée" me donnent déjà envie de tourner les talons: je dérange, et c'est manifeste.

Le "Gzring" et le "clac" de la "porte à permis d'entrer" me surprennent pile à cet instant: bon, sans doute ai-je mal jugé. Entrons.

J'avance, en regardant la dame (politesse minimum obligatoire, me semble-t-il en cet instant fatidique), et commence de dire que "je viens regarder ce que ..."
... Je n'irais pas plus loin que ces 5 tout petits mots.

Décharge de lance-flamme instantanée: je suis "en train de m'essuyer les pieds sur un très précieux tapis". Aïe, flutte et zut. Moi qui voulais détendre la mine crispée de la ten-A-ncière: raté total.

Pour susciter un tel sursaut d'humeur de sa part, je m'attends à une œuvre persane  aux délicats et complexes entrelacs faits de fils de soie et laine noués main.
Sentant la confusion monter, en rougissant d'avance, je baisse le nez pour voir sur quoi j'avais malencontreusement mis les pieds là où je n'avais pas le choix de passer...

...Pour apercevoir que je suis plantée sur une carpette, aux dimensions certes sorties de la taille des carpettes ordinaires, mais qui me fait plus penser à une carpette qu'un tapis précieux. Longs poils rouge en fil épais, probablement en laine, gros motifs d'oiseaux blancs détour noir façon Braque ** éparpillés ça et là.
Une "richesse" de style et de décor qui met tout l'accent sur... les tâches et les salissures que compte en pagaille le fameux trésor. Scandale et honte de mes semelles meurtrières qui ont stoppé tout net de gratter le poil déjà bien sali, de la chose ainsi nommée: "tapis précieux".

** Oups, zut, je connais au moins un nom d'artiste peintre-sculpteur-graveur cubiste, contemporain de Giacometti, Picasso, Le Corbusier, Andrée Putman, Franck Lloyd Wright... Crotte, ignare que je suis.

Je m'excuse, expliquant à l'-A-ntiquaire que ne voulant pas salir son magasin (il pleut dehors), je m'essuie les pieds sur la première surface venue que je sens sous mes pieds, par pur réflexe, ne trouvant pas de carpette à l'entrée, sans même avoir remarqué que ce qui était dans le passage était un tapis. Enfin, je tente d'expliquer... Car la furie ne m'en laisse pas le loisir.

Et pour vous mettre dans l'histoire, à ma place, là où je me trouve vraiment: le tapis est placé dans le passage, là où on pose obligatoirement ses semelles sales, venues de la rue, même si on ne veut pas. Exactement 4 pas après l'entrée, qui n'a pas de carpette pour s'essuyer les pieds.

Je comprends bien que la civilité se fait rare de nos jours, et que nombre de chalands entrent sans cette courtoisie destinée à salir le moins possible le magasin. Mon réflexe à respecter la (très relative) propreté des lieux peut donc surprendre.
Ceci dit, si les carpettes prévues à cet effet se font rares, comment rester civils?

Bref. Moi civile. Moi entrer. Pas carpette après porte. Sensation de carpette 4 pas plus loin. Pleuvoir dehors. Moi avoir réflexe: essuyer pieds. Bête et méchant, j'en conviens.

Revenons au lance-flamme. Alors que je tente de m'excuser et d'expliquer, le gabian vendeur de poussiéreuses vieilleries commence à me hurler dessus.
"Mais enfin, vous vous essuyez les pieds sur  un tapis des années 50, vous ne vous rendez pas compte..."
À  quoi je rétorque que "le tapis est plein de tâches et crasseux, et que dans le passage je ne pouvais pas deviner que..."
Pour me faire à nouveau couper la parole par une sorte de furie, dont je comprends vite qu'elle ne condescendra pas à accepter mes excuses, surtout pas ses torts, et encore moins à me laisser salir ses -A-ntiquités ô combien précieuses par ma seule existence. Que dire de ma présence en ces lieux: il y a là crime de lèse-m-A-jesté, incontestable.

Je n'insiste pas, et je tourne les talons.
En l'espace de 2 secondes, alors que je ne pipais mot, le gabian énervé et criard se transforme en dragon super lanceur de flammes, et me jette du haut de son 1m62 (je suis gentille):
 - "c'est ça, allez voir ailleurs, c'est mieux. Allez là où vous trouverez ce qui convient à une personne qui n'a pas le niveau d'ici".

Venant d'une petit chose excitée faisant 3 têtes de moins que moi, dont la garde-robe hésite entre la prostituée de fin de carrière qui cache ce qu'elle ne peut plus vendre un bon prix, et la poissonnière des quais amoureuse de César, qui voudrait se donner des airs de bourgeoise en n'ayant que les moyens d'imaginer ce que pourrait être sa tenue, pas celui de les copier, et dont le discours est à l'avenant, je pouffe...

Ceci dit, elle se prendra le retour d'aile que ses intimidations de gabian mal embouché méritent: je claque la porte en la traitant de "Co...se".
La réaction ne se fait pas attendre, et la porte fermée ne me protègera pas du "pétasse, enculée" assassins, censés me mettre à terre.

Dommage: mon bien petit niveau me sauve.
Les insultes de ses pensées sourdes, cette fois clairement déclarées, manquent leur cible, et me passent au-dessus de la tête. Une tête pourtant placée à peine un peu plus haut que le 1m70 que la dame de "très haut niveau" pouvait espérer atteindre en sautant à pieds joint, pour lancer ses attaques meurtrières.

Non seulement ses insultes me passent au-dessus de la tête, mais en plus elles me régalent: oui, c'était bien un sinistre gabian que j'avais vu se déployer du fond de son trou noir.
Un de ces méchants gabians, retords et vicieux, qui ne pensent qu'à une chose dès qu'ils voient bouger quelque chose: où taper du coup de bec?

Et je me régale d'autant plus que manifestement, si mon infériorité en histoire de l'art et de l'ameublement lui est plus qu'évidente, elle doit aussi "savoir" que je lui suis très inférieure en matière de langage, de culture générale, de talent narratif. Et ne pas s'imaginer une seconde que mon métier, c'est de raconter, d'écrire, être passeuse d'information...

Ah au fait, madame l'-A-ntiquaire: papa était menuisier ébéniste d'art, je suis artiste peintre et designer, écrivaine, fan d'architecture et de mobilier, curieuse de toutes les époques et tous les styles. J'ai entendu parler de l'Ecole Boule à laquelle j'ai failli m'inscrire après le baccalauréat (avec 2 c).
Je sais que la Cité du Fou à Marseille est l'une des œuvres majeures de Monsieur Le Corbusier, non pas en tant qu'architecte, mais en tant qu'innovateur proposant une solution et une organisation sociale du bâtiment s'inscrivant dans la création de concepts architecturaux liés aux besoins des individus et des familles intégrés dans des sociétés humaines s'organisant en groupes communautaires régis par le travail. (Et toc!).

Tout comme je sais que le mobilier vintage est souvent fait de bois lamellés collés, avec des pièces en acier (éventuellement chromé) quand on a la chance de tomber sur des meubles d'éditeur de très haute qualité, de formica  et tube d'alliage chromé pour éviter le piquage et la rouille dans d'autres cas.
Que si les meubles Formica (une marque) des débuts, arrimaient solidement des feuilles stratifiées à base de Mélamine sur des plateaux de bois lamellé-collé, les séries industrielles bas de gamme ont vite remplacé le procédé HPL (stratifié Haute Pression) mis au point par Formica, par des plastiques collés sur des agglomérés de bois, bien moins résistants et qualitatifs.
Je sais aussi, que le mobilier vintage pour les séries et les éditions plus récentes à partir des années 70, utilise du plexiglass, des résines armées sur fibre (roto-moulées quand la forme le permet et/ou le nécessitent)...entre autres matériaux sorti des bois plus ou moins précieux.

J'ai quelque part entendu parler des luminaires avec verre simple blanc opaque, verre opaline ou céramique fine, clipsés ou vissés, suivant le budget coût de production fixé par les éditeurs de mobilier décoratif, pour respecter le tarif catalogue imposé par les prix de marché de l'époque... Et dont certains exemplaires tentent désespérément de trouer la pénombre de votre..."lieu".

Sans omettre que  j'ai parfaitement conscience, compte tenu de mon âge avancé (snif) que le mobilier "vintage" doit ses tarifs actuels à la mode lancée par quelques tendanceurs et modeux en panne de nouveautés dans les années 90, après la vague design des années 80, ouvrant sur une parenthèse qui attendait, pour se refermer, les premières générations de designers aguerris issus des premières écoles de design qui n'existaient pas auparavant (ou si rares et très chères).

Une mode emboîtée par les connaisseurs de haut vol de votre acabit, qui n'y ont vu qu'une opportunité de faire du fric sur le dos des héritiers vidant les appartements de leurs défunts, aux goûts pas très compatibles avec la tendance du moment...

On pourrait aussi y voir l'inspiration géniale de lancer la vogue du vintage comme un moyen sûr de revendre les dits meubles hérités de Papa , repiqués d'un décor à la Mr Hulot made by Jacques Tati, et qui sans "effet mode", ne vaudraient pas davantage que les bibliothèques en merisier massif et autres normandes en noyer, montées à la cheville de bois, qui pourrissent dans les dépôts vente juste parce que ce n'est pas "tendance"... EN CE MOMENT.

Rappelez-vous bien, madame l'-A-ntiquaire tellement au-dessus du niveau de ses clients: TENDANCE n'existe que parce qu'il y a EN CE MOMENT, et gens qui suivent la dite tendance mêêêêêh.

La loi du marché et de la demande est la seule à accorder de la valeur aux choses, en deniers sonnants et trébuchants.
Votre stock de trésors empoussiérés pourrait bien perdre la THVA (Très Haute Valeur Ajoutée) que vous lui accordez, en quelques mois.
S'il venait aux tendanceurs de ressortir d'autres merveilles du fond des greniers du savoir-faire des artisans, depuis que l'homme manie le ciseau à bois, la colle de peau, le pinceau à dorer à la feuille, l'agate à brunir (qui sert à faire briller l'or des dorures, au cas ou où vous penseriez que le brunissage sert à foncer le métal pour "lui donner un coup de vieux")... ainsi que biens d'autres outils ou tours de mains précieux et rares.

Plutôt que vous estimer si haut au-dessus des gens qui viennent chez vous, vous feriez mieux de leur faire profiter de votre savoir immense, avec sourire et amabilité, histoire qu'ils soient capables de reconnaître dans le tapis sale qui se jette sous leurs pieds, autre chose que la carpette à laquelle il ressemble, dans votre façon de le mettre en situation et en valeur.

À bon entendeur, je ne vous salue pas, madame...
Quant à vous qui êtes de passage, lecteur ou amateur de mobilier vintage , je ne saurais que trop vous conseiller d'éviter cette boutique tenue par une femme plus passionnée d'étriper ses clients que de ce que contient son endroit.
Je ne vous donnerais ni le nom ni l'adresse exacte. Je vous dirais juste que, si le chemin à pieds vers Vauban vous essoufle, en venant de quelque part entre Castellane et le Prado, dites-vous que ce manque de ce souffle n'est rien à côté de celui que vous promet l'-A-ntiquaire en question, si vous ne savez pas léviter.

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